Le sans-abrisme en Suisse – (Mé)connaissance, politiques et stratégies des cantons et communes
Les autorités publiques ont tendance à considérer le sans-abrisme comme un problème individuel. Voilà le constat dressé par une analyse des formes d'implication des pouvoirs publics dans le cadre de l'aide dispensée aux personnes sans-abri. Il convient de reconsidérer cette conception du sans-abrisme et de réfléchir aux possibilités d'action de l'État. Présentation d’une étude réalisée par la Haute école de travail social FHNW.
Les personnes sans-abri voient le champ de leurs possibilités fortement réduit et leurs droits fondamentaux gravement atteints. Quiconque vit dans un logement précaire ou qui n’a pas de domicile fixe ne peut pas exercer ses droits à la liberté et à la participation. L’absence d’un lieu de refuge sûr restreint son droit à la vie privée. L'État a ici l'obligation de permettre à ces personnes d’exercer leurs droits et de remédier aux conditions de logement précaires par des garanties et mesures socio-étatiques. La Haute école de travail social FHNW s’est penchée sur cette responsabilité de l'État à l’échelle cantonale et communale dans l'étude « Le sans-abrisme en Suisse – Compréhension du phénomène, politiques et stratégies des cantons et des communes », commandée par l'Office fédéral du logement. Dans ce contexte, des responsables de départements cantonaux des affaires sociales ont été interviewés et toutes les communes suisses interrogées en ligne.
Absence de stratégie nationale globale
Comme le montrent les études préliminaires, la responsabilité de l'État en matière de prévention et de lutte contre le sans-abrisme en Suisse n'est pas explicitement exercée au plus haut niveau étatique (cf. « Le sans-abrisme : premier rapport national de la Suisse »). Il n’existe ni définition officielle nationale du sans-abrisme, ni bases légales ou stratégies politiques sur lesquelles repose l'action des autorités. Dans sa Constitution fédérale, la Suisse reconnaît certes le droit fondamental à l'aide dans des situations de détresse (art. 12 Cst.) et garantit ainsi un droit minimal et inconditionnel à disposer de nourriture, de vêtements, d’une aide médicale d'urgence et d’un logement. Aucune disposition ne garantit toutefois le droit universel et justiciable à un logement approprié. La Constitution fédérale confie déjà la responsabilité aux cantons d'assister les personnes dans le besoin (art. 115 Cst.).
Compréhension restreinte du phénomène dans les cantons
Les études menées au niveau cantonal montrent que l'hébergement des personnes touchées par le sans-abrisme est en principe reconnu comme relevant de la responsabilité de l'État. Cependant, rares sont les cantons qui ont mis en place une approche stratégique. Par conséquent, même ceux dans lesquels le sans-abrisme et le risque de perte de logement sont largement répandus ne peuvent guère fournir de chiffres concrets et ne disposent pas d’outils de relevé appropriés. De plus, il manque souvent une vue d'ensemble des offres existantes en matière d'aide au logement et aux sans-abri. En d’autres termes, seules les personnes qui peinent à trouver ou à conserver un logement en raison de problèmes de dépendance, d'antécédents migratoires ou de conflits familiaux entrent dans le champ d'observation des autorités.
Les connaissances sur les étapes préalables au sans-abrisme, caractérisées par des conditions de logement précaires, incertaines ou inadéquates sont faibles. Il est donc difficile de développer des méthodes efficaces pour prévenir et éviter les situations et le risque de perte de logement. Dans l'ensemble, il ressort de l'enquête que les représentants des cantons estiment que diverses tâches étatiques liées à la sécurité sociale relèvent de la compétence opérationnelle des communes.
Dépendance à l’égard d'organisations tierces dans les communes
Le même constat s’applique aux communes : les compétences restent floues, à la fois entre et au sein des niveaux de l’État. La plupart des communes estiment que la prévention et la lutte contre le sans-abrisme et le risque de perte de logement incombent aux services sociaux communaux ou régionaux. En Suisse, le sans-abrisme et la menace de perdre son logement sont ainsi perçus comme un problème individuel, raison pour laquelle les personnes concernées sont conseillées et assistées dans le cadre du travail social. Ce n'est que dans les grandes communes (à partir d’environ 8’000 habitants) qu'interviennent, en plus du service social, d'autres organismes issus principalement du domaine social ou ecclésiastique. Dans les communes de moins de 1’200 habitants, il est fort probable qu'il n'y ait aucun point de contact désigné. Seules les grandes agglomérations proposent des services de conseil et d'accompagnement fournis par différents prestataires, ainsi qu’un conseil spécialisé en matière de logement ou disposent de fondations qui octroient p. ex. des garanties de loyer.
Les limites des services sociaux se reflètent dans les services d'aide au logement proposés. En cas de pénurie de logements, les communes suisses dépendent en grande partie des offres de tiers. En effet, la plupart d’entre elles ne possèdent pas de structures d'hébergement. En présence de personnes sans-abri, elles louent des chambres d'hôtel ou recherchent des hébergements d'urgence à court terme. 20 des 618 communes ayant répondu à l'enquête en ligne ont en effet déclaré disposer de possibilités de logement.
Champ de prestations de l'État pour les sans-abri
Les stratégies et concepts axés sur la prévention et la lutte contre le sans-abrisme constituent des exceptions, tant au niveau cantonal que communal. Les stratégies requérant une coopération entre différents acteurs sont presque exclusivement disponibles au sein des communes urbaines et communes à fonction centrale. Malgré l'absence de stratégies et de concepts (ou peut-être justement pour cette raison), les communes formulent de nombreux défis dans le cadre de la lutte contre le sans-abrisme. Outre les questions fondamentales portant sur la disponibilité des ressources, les compétences, etc., ceux-ci concernent les attentes générales à l’égard de l’approvisionnement en logements d'intérêt général (loyers à prix coûtant, logements abordables ou à mixité sociale) ou encore la souplesse nécessaire à adopter dans les relations avec les propriétaires lors de la recherche de solutions en cas de situation de détresse. Par conséquent, les plans d'urgence sont courants dans les communes; lorsqu’ils existent, il convient d’identifier les approches orientées vers les problèmes et les solutions dignes d’être « copiées », telles que p. ex. le logement transitoire en cas d'expulsion forcée, le dénommé modèle « Housing First » ou les systèmes d'alerte en cas de risque de perte de logement.
« Sans-abrisme », le champ de prestations défini par l'État
Les auteurs de l'étude recommandent la création d’un cadre de référence national par la définition d’un champ de prestations sur le thème du « sans-abrisme » par l'État. Une démarche qui permet d’atténuer et de remédier aux situations d'urgence, mais aussi de prévenir le sans-abrisme. Cela ne signifie pas que tous les services d'aide aux sans-abri doivent être fournis par des organismes publics; au contraire, un tel champ de prestations permettrait d'identifier les potentiels et d’impliquer des ONG, bénévoles ou individus de manière ciblée. Il est ainsi possible de concevoir un système d'aide proche des personnes concernées grâce à l'implication d'organisations spécialisées. Quant à la participation des autorités, elle a pour objectif d’assurer le financement et le développement judicieux du projet. Un champ de prestations pourrait en outre pallier la compréhension limitée du sans-abrisme et l’ambiguïté liée aux compétences, ainsi qu’aider à combler les lacunes dans l’approvisionnement en logements. Le sans-abrisme étant souvent considéré comme la conséquence de processus d'exclusion antérieurs, la conception d’un tel champ de prestations devrait constituer une tâche transversale.