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Focus Pratique

L’accompagnement social palliatif – l’art et l’humain au centre

02.09.2024
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Certaines personnes trop blessées par la vie ne peuvent pas prendre part à des mesures d’activation via, notamment, des programmes d’insertion socioprofessionnelle. Elles sont trop atteintes dans leur santé psychique et/ou physique. Dans ces cas-là, d’autres approches à bas seuil semblent porter leurs fruits : l’accompagnement social palliatif. L’Artias a publié en mai 2024 un dossier relatif au travail social palliatif.

L’idée du travail social palliatif (TSP) qui sous-tend cette approche est un accompagnement social par la « simple » présence d’un travailleur social sans édicter d’objectif précis mais en promouvant l’attention, l’écoute, la prise en compte et la veille. Avec en son centre la confiance, ce travail permet de (ré-)entretenir la disponibilité à sa propre personne et de reprendre des forces après des chemins de vie chahutés. En agissant ainsi, l’idée est aussi de pouvoir redéployer les liens sociaux des personnes bénéficiaires.

En Valais, un cas pratique avec des effets tangibles

En 2016, l’œuvre sociale d’entraide ouvrière (OSEO Valais) a mis en place la mesure d’Insertion sociale active (ISA) co-financée par le Service de l’action sociale du Canton du Valais et de la Ville de Sion. Le cadre de ce programme est bien différent de ce qui est souvent mis en avant dans les services sociaux. Le programme se fonde sur une base volontaire et ne dicte aucun objectif aux bénéficiaires. Ces derniers peuvent s’exprimer librement, prendre part à diverses activités, ne rien faire, venir à l’heure qu’ils souhaitent ou encore s’arrêter quand bon leur semble. Le choix du médium de ce programme s’est porté sur l’art avec pour but d’accroître l’estime de soi, d’améliorer la santé physique, psychique et sociale, de renforcer les liens sociaux et de réactiver les ressources personnelles des usagers. Dans les faits, ce médium a permis aux bénéficiaires de se mettre en discussion sur les outils et les choix artistiques tout en mettant en avant leur travail dans des expositions.

Une étude de la HETS Valais a permis de mesurer les effets d’un tel programme tant sur les bénéficiaires que sur le reste de la société. Après six mois dans le programme, les usagers ont amélioré leur état de santé en prenant moins de médicaments, en réduisant le besoin de suivi psychiatrique et en améliorant leur forme physique, psychique et sociale. De manière logique, l’estime de soi des participants s’est aussi retrouvé bonifié tout comme le fait de pouvoir remobiliser des compétences qui semblaient perdues.

Recréation du lien

La dimension sociale s’est aussi retrouvée positivement impactée par ce programme. Les bénéficiaires qui étaient souvent marqués par un isolement social ont retrouvé la possibilité de recréer du lien. Dans un premier temps, cela a eu lieu avec les autres bénéficiaires du programme avec des échanges autour des différents ateliers proposés par l’ISA. Cette réouverture vers l’autre a permis de recréer des interactions dans le quotidien de l’ISA. Cela a aussi amené des bénéficiaires à renouer des liens avec d’anciennes relations dans leur vie privée avec qui le contact avait été rompu. Par l’art, les usagers ont donc pu sortir de leur isolement social.

Ces effets positifs au niveau individuel ont aussi des répercussions encourageantes sur l’ensemble de la société. De manière générale, il y a eu une diminution notable des problématiques sanitaires et sécuritaires sur le territoire du projet. Les factures médicales des bénéficiaires ont été réduites par leur meilleure santé, allégeant ainsi le porte-monnaie de la collectivité. Les incivilités et les délits commis par les usagers du programme ont aussi baissé. La police a donc dû moins intervenir, ce qui a aussi une répercussion directe sur les dépenses publiques. La marginalité dans l’espace public a aussi été diminuée car les personnes marginalisées ont dorénavant un endroit approprié et apprécié plutôt que la rue comme seule échappatoire. Cela a amené à réduire le sentiment d’insécurité des habitants de la ville.

Une zone de confort ?

Néanmoins, certains écueils sont aussi mis en avant dans l’étude. Par exemple, le programme ISA peut être perçu comme un « îlot protecteur », une zone de confort, duquel les bénéficiaires ne souhaitent plus sortir alors que leur meilleure santé leur permettrait. Cela peut, par exemple, créer une crainte de se lancer dans une mesure d’insertion socioprofessionnelle ou dans la vie associative. Un autre élément à souligner est le fait que la personne accompagnée n’a pas retrouvé toute son autonomie mais doit encore être suivie et rendre des comptes aux professionnels.

Un changement de paradigme aussi pour les professionnels

Les professionnels de ce programme, appelés maîtres d’atelier, doivent repenser leur manière d’agir. De ce fait, les maîtres d’atelier doivent s’éloigner du paradigme qui cherche l’activation à tout prix des bénéficiaires. Dès lors, il est nécessaire de revoir ses perspectives en se distançant de l’intégration professionnelle pour se rapprocher de l’intégration sociale.

Pour cela, des profils professionnels hybrides ainsi qu’une pluralité de connaissances sont essentiels pour la bonne marche du suivi. Les maîtres d’ateliers doivent mettre en avant des capacités d’accompagnement qui ne s’inscrivent pas dans la direction d’un but précis. Ils ont un rôle plus statique en assurant une présence quand, par exemple, un bénéficiaire souhaite juste venir boire un café sans chercher à interagir. Néanmoins, lors des ateliers, cette présence « passive » doit aussi évoluer en direction d’une animation socioculturelle afin de mobiliser le groupe et ses capacités. De plus, les maîtres d’atelier restent aussi des assistants sociaux « classiques » lorsqu’ils soutiennent les bénéficiaires dans leur démarche administrative auprès de l’État.

Remettre l’humain au cœur de l’accompagnement

Le succès du programme ISA tient au fait de remettre l’humain au cœur de l’accompagnement en le considérant et en l’aidant à retrouver une dignité. L’ISA met aussi en avant la puissance que peut faire naître la création artistique. Cette dernière est trop souvent perçue comme une activité « inutile », au sens financier du terme. Dans ce cas-ci, elle démontre bien toute sa centralité dans l’existence humaine, la confiance et la connaissance de soi ainsi que dans le lien à l’autre. D’ailleurs, même si l’on se concentre uniquement sur une logique économique, un tel programme, s’il est bien mis en place et géré, est très intéressant financièrement tant les retombées économiques positives dépassent les investissements de base.

Gageons que l’expérienDce valaisanne pourra amener à démocratiser une autre manière de faire et d’être dans l’accompagnement social des personnes en rupture avec le monde social et professionnel.

Dossier du mois d’artias

« Fondements et mise en pratique de ­l’accompagnement social palliatif » Vivianne Châtel, ­Guillaume Sonnati et Marc-Henry Soulet ; Link : artias.ch

Salomon Bennour
Collaborateur rédactionnel