La transformation numérique des services sociaux : rapport de recherche
Une enquête de la Haute école spécialisée de Lucerne s’est intéressée à l’état actuel du processus de numérisation au sein des services sociaux et au soutien à leur apporter dans le cadre d’un projet de recherche. Les résultats de cette étude préliminaire mettent en exergue un grand besoin d’aide.
Selon la littérature spécialisée, le domaine social est à la traîne quant au développement de la transformation numérique. Ce sont principalement les entreprises du secteur des TIC et l’administration qui font office de moteurs de la numérisation des services sociaux. L'expertise du travail social est souvent négligée dans le cadre de ce processus. Depuis la COVID-19, bon nombre de services sociaux mais aussi de particuliers n’ont cessé de développer leurs propres méthodes et solutions en lien avec les médias numériques. Selon l’état actuel de la recherche, les services sociaux disposent rarement de stratégies, concepts ou cultures d’entreprise permettant de faire face à la transformation numérique. Un projet de recherche interdisciplinaire de la Haute école spécialisée de Lucerne a pour objectif de soutenir les services sociaux dans leur démarche de transformation numérique en intégrant le point de vue du travail social.
Afin de déterminer en détail où se situent les difficultés et intérêts de la pratique, l’équipe de recherche a réalisé une étude préliminaire exploratoire et non représentative. Sur la base de l’état actuel de la recherche, trois thèmes ont été retenus : 1. Communication, information et conseil, 2. Processus de travail et organisation du travail, 3. Gestion des données. Étant donné que la transformation numérique s’entend comme un processus de développement organisationnel, l’équipe de recherche s'est également intéressée à la conception pratique de ce processus. Les services sociaux ont proposé une autoévaluation et une estimation du potentiel via un questionnaire en ligne. 23 organisations ont participé à cette enquête quantitative, dont la plupart sont actives dans le domaine de l’aide sociale à l’échelle communale. Certains services sont polyvalents et d’autres opèrent dans un domaine totalement différent. Environ la moitié des répondants à l’enquête provenaient de bassins de population de petite ou moyenne taille, la majorité étant constituée d’organisations avec un bassin de population supérieur à 25 000 personnes. La plupart des personnes interrogées occupent des fonctions dirigeantes.
Afin de mieux comprendre ces résultats et points de vue des organisations pratiques, ainsi que d’approfondir ces thèmes, deux interviews ont été menées avec des groupes cibles suite à l’enquête en ligne. Parmi les participants figuraient des responsables de services sociaux, dont certains faisaient état de projets de transformation très avancés, des travailleurs sociaux, des personnes de l'administration et de centres de conseil spécifiques et enfin des experts du domaine. Les résultats des interviews sont résumés ci-après.
Communication, information et conseil
Pour la communication/le conseil avec les clients, autres départements et autorités, la transformation numérique présente un très grand potentiel en termes d'efficacité/efficience, de protection des données et d'adaptation aux besoins. Dans le domaine de l’information, les réponses diffèrent sensiblement : alors que la moitié des réponses évoluent dans la fourchette centrale, celles de l’autre moitié divergeaient fortement, allant d’une autoévaluation très faible à très élevée. En revanche, deux tiers des répondants estiment que les collaborateurs peinent à trouver des informations numériques, par exemple sur les clientes et clients, ainsi que sur les offres disponibles telles que les foyers, les programmes d’insertion professionnelle et autres. Ces évaluations ne dépendent pas de la taille de l’organisation.
Processus de travail et organisation du travail
Les participants s’accordent à dire que la transformation numérique recèle un fort potentiel quant à la conception des processus de travail avec d'autres départements ou autorités. L’adhésion à cette déclaration est la plus élevée. Près de la moitié des organisations l’approuvent totalement, les petites et moyennes structures même sensiblement plus que les grandes. Trois quarts des organisations voient un potentiel dans le domaine des processus avec les clientes et clients. À cet égard, l’approbation des grandes organisations est supérieure à la moyenne, celle des moyennes structures inférieure à la moyenne.
Gestion des données
Quant à la collecte, l’utilisation et la diffusion des données, les personnes interrogées jugent leur propre situation insatisfaisante et estiment qu’il y a un fort potentiel encore largement inexploité. En ce qui concerne la protection des données, 70 % des personnes interrogées considèrent que la collecte, l’utilisation et la diffusion des données ne sont pas ou pas assez conformes au droit fédéral. Les services sociaux de petite et moyenne taille attachent davantage d'importance à ce problème que les grandes structures.
Alors que le potentiel a été jugé plus important dans la communication et les processus de travail, la gestion des données est privilégiée par rapport à la communication. Pour les processus de travail, le potentiel et la priorité coïncident.
Transformation numérique en tant que processus de développement organisationnel
Alors que les organisations sont en général favorables à la transformation numérique et pensent pouvoir accompagner leurs collaborateurs dans cette démarche, les petits services sociaux manquent manifestement des ressources humaines, financières et techniques nécessaires pour y parvenir.
L’hypothèse selon laquelle la transformation est principalement «top-down» et pilotée par les départements TIC a été confirmée. Les collaborateurs sont moins impliqués, peut-être aussi moins intéressés, car d'une part ils estiment que la relation personnelle est très précieuse dans les contacts directs et d’autre part, ils craignent que les données très sensibles sur leurs clientes et clients ne fassent l’objet d’un usage abusif. Par rapport aux services sociaux de moyenne et grande taille, l’implication des collaborateurs est nettement plus élevée dans les petites structures. Les personnes concernées, à savoir les clientes et clients, ne sont d’ailleurs pas du tout impliquées dans la transformation.
Dans les entretiens, il ressort clairement que la transformation doit être assimilée à un processus de développement organisationnel dans lequel toutes les parties prenantes doivent être impliquées. La transformation requiert un changement culturel et structurel qui doit débuter dans l'esprit des gens. Le potentiel économique est estimé à environ 6 % du volume des emplois.
Regards sur la transformation numérique des services sociaux
Les services sociaux interrogés voient un potentiel dans la communication avec les clientes et clients par le biais de différents canaux, selon les besoins de la clientèle et la situation. Un important développement de l'information autonome de la population et des bénéficiaires de prestations pourrait énormément décharger les services, en particulier pour les entretiens d’intake. La démarche serait également plus agréable et efficace pour la clientèle que de devoir se rendre en personne au service social. La gestion numérique des connaissances pourrait également permettre aux professionnels d’accéder plus facilement aux informations et donc de fournir des conseils et un accompagnement plus compétents.
Les processus de travail doivent être repensés de fond en comble dans une « perspective client », sachant qu’un service social est non seulement au service des clientes et clients, mais aussi des autorités et autres parties prenantes. Il est important que les processus administratifs puissent être automatisés à large échelle et fonctionnent sans facteurs de rupture associés. Dans tous ces processus de transformation, une attention particulière doit être accordée à la protection des données pour toutes les personnes concernées.
Soutenir les services sociaux
La Haute école spécialisée de Lucerne prévoit un projet de recherche interdisciplinaire afin d’aider les services sociaux à aborder ces thèmes. À cette fin, l’HES dépend de partenaires issus de la pratique, tant au niveau des services sociaux que du secteur privé (fournisseurs du secteur des TIC, experts en gestion d'entreprise, facilitateurs du développement organisationnel). Il s’agira certainement d'un voyage de recherche très instructif et axé sur la pratique, avec des résultats utiles ! Si vous souhaitez y participer ou désirez recevoir de plus amples informations, rendez-vous sur www.hslu.ch --> Forschung --> Soziale Arbeit.