La gestion des prestations de libre passage dans l’aide sociale
La gestion des prestations de libre passage dans l'aide sociale est un défi complexe. Pour les services sociaux, la question se pose de savoir si les bénéficiaires doivent utiliser leur capital vieillesse pour subvenir à leurs besoins. Ils doivent ainsi évaluer si et dans quelle mesure les avoirs de libre passage doivent servir à financer les besoins de base, sans pour autant fragiliser la future prévoyance vieillesse. Cette problématique entraîne différentes réglementations et procédures dans la pratique.
La subsidiarité constitue un principe de base de l'aide sociale. En d’autres termes, les prestations et avoirs de libre passage de la prévoyance vieillesse priment par principe sur l'aide sociale. En même temps, il faut veiller à garantir des conditions d’existence appropriées à l’âge de la retraite. Un autre principe entre ainsi en jeu, celui de la protection de la prévoyance vieillesse. Celle-ci stipule que les prestations de libre passage doivent couvrir les besoins vitaux au moment du versement de la rente AVS. Lorsqu'un bénéficiaire de l’aide sociale approche de l'âge de la retraite, les principes du maintien de la prévoyance et de la subsidiarité de l’aide sociale entrent en conflit, raison pour laquelle ils doivent être soigneusement mis en balance.
La notion d’avoir de libre passage désigne les fonds de la prévoyance liée provenant de polices et comptes de libre passage du 2e pilier (loi sur la prévoyance professionnelle, LPP) et du pilier 3a (épargne privée). Lorsqu'un salarié quitte son emploi sans reprendre directement une nouvelle activité, les fonds accumulés dans sa caisse de pension sont transférés sur un compte de libre passage. Le régime de pension prévoit que les avoirs des comptes de libre passage peuvent être retirés au plus tôt cinq ans avant et au plus tard cinq ans après l’atteinte de l’âge AVS. Actuellement, les femmes peuvent donc percevoir leurs prestations de libre passage à partir de 59 ans et les hommes dès 60 ans. Cinq ans avant le versement de la rente AVS, la personne concernée possède donc un capital dont elle pourrait disposer.
Pas de prestations complémentaires en cas de retrait anticipé
Pour les bénéficiaires de l'aide sociale, la question se pose donc – à partir de cinq ans avant l'âge AVS – de savoir comment gérer les avoirs de libre passage disponibles. Le principe de subsidiarité plaide en faveur d’un versement de ce capital et donc d’une sortie de l’aide sociale. La personne concernée devrait subvenir à ses besoins à partir de 60 resp. 59 ans révolus à l’aide des prestations de libre passage. À la première date de retrait possible, elle ne pourrait donc pas prétendre à des prestations complémentaires (PC).
En général, les personnes dont la fortune nette excède 100 000 francs n'ont pas droit aux PC, ce qui s'explique par la récente introduction d’un seuil de fortune pour l’octroi de PC. Étant donné que la libération des avoirs peut uniquement intervenir deux ans avant l’atteinte de l’âge ouvrant le droit à une rente AVS anticipée, les prestations de libre passage devraient donc combler une période d'environ trois ans. En cas de libération prématurée, ces fonds pourraient dès lors être entièrement ou partiellement épuisés au moment du versement de la rente AVS anticipée. La personne concernée serait alors à nouveau tributaire de l'aide sociale.
La protection de la prévoyance s'oppose clairement à cette approche. L'objectif des 2e et 3e piliers ne peut être atteint que si les fonds de la prévoyance vieillesse liée sont versés en même temps que la rente AVS anticipée. Cette démarche contribue à garantir le maintien du niveau de vie habituel, en complément des prestations de l'AVS/AI.
Percevoir les rentes AVS à la première échéance possible
Les normes CSIAS stipulent clairement que les rentes AVS priment sur l'aide sociale, conformément au principe de subsidiarité, et qu'elles doivent donc être perçues le plus tôt possible. Dans le respect de la protection de la prévoyance, la première échéance possible est fixée au moment du versement anticipé de la rente AVS. Par conséquent, la CSIAS recommande que les prestations de libre passage soient retirées au plus tôt à l'âge de 63 ans révolus pour les hommes, resp. 62 ans révolus pour les femmes. Au moment du versement anticipé de la rente AVS, le capital vieillesse n’est ainsi pas réduit. La personne concernée peut commencer à percevoir sa rente AVS et prétendre à des prestations complémentaires. Cette approche permet de répondre à l'objectif des 2e et 3e piliers, selon lequel la prévoyance liée doit contribuer, en complément des prestations de l'AVS/AI, à garantir le maintien du niveau de vie habituel.
Récemment, le Tribunal fédéral a été amené à statuer sur plusieurs faits relatifs au retrait des avoirs de libre passage. Contrairement aux normes CSIAS, le Tribunal fédéral ne rejette pas systématiquement un retrait du capital vieillesse cinq ans avant l’atteinte de l’âge AVS. Le TF a estimé que le retrait de l'avoir de libre passage pouvait toutefois être exigé à partir de 60 resp. 59 ans au plus tôt, pour autant que ce capital permette de financer les moyens de subsistance sur la base des besoins définis dans le calcul des prestations complémentaires et ce, jusqu'à l'âge ouvrant le droit à une rente AVS anticipée. Ces besoins sont plus élevés que ceux au sens du droit d'aide sociale. Le retrait anticipé est alors considéré comme disproportionné si la personne concernée risque de dépendre à nouveau de l'aide sociale avant le versement de la rente AVS anticipée à 63 ans.
Versement volontaire
Comme déjà mentionné, la personne bénéficiaire a la possibilité de se faire verser volontairement les prestations de libre passage avant l'âge légal de la retraite ou l'âge du retrait anticipé. Dans ce contexte, la question de la sortie de l'aide sociale se pose.
La sortie de l'aide sociale est admissible lorsqu'un bénéficiaire choisit de retirer ses avoirs de libre passage avant la survenance du cas de prévoyance (âge ouvrant le droit à une rente AVS anticipée ou perception d’une rente AI entière) et sans y avoir été exhorté par les autorités d’aide sociale. Dans ce cas, la protection de la prévoyance vieillesse n’est plus garantie. La sortie est également autorisée lorsqu'un bénéficiaire retire ses avoirs de libre passage à la survenance du cas de prévoyance. Le maintien de la prévoyance est ainsi préservé.
Remboursement
Afin de protéger la prévoyance vieillesse et invalidité, les normes CSIAS prévoient de renoncer de manière générale à exiger le remboursement pour cause de situation favorable/apport de fortune. Les avoirs libérés de la prévoyance liée doivent être utilisés pour les dépenses d'entretien courantes et futures. Il n'est donc en principe pas possible d’exiger le remboursement des prestations d'aide sociale obtenues légalement à partir de ces fonds.
Le Tribunal fédéral est d'un autre avis. Lorsqu’un bénéficiaire se fait verser l’avoir de libre passage avant la survenance du cas de prévoyance, le TF considère qu’il est admissible d’exiger un remboursement du fait d’une situation économique favorable/d'un apport de fortune. Dans le cadre d’une éventuelle procédure de saisie, il convient de tenir compte de la saisissabilité limitée des fonds.
Priorité à la prévoyance
Le fait est que les principes de subsidiarité et de prévoyance vieillesse doivent être soigneusement mis en balance. Selon la CSIAS, il convient de privilégier la prévoyance jusqu'à l'âge ouvrant le droit à une rente AVS anticipée. L'avoir de libre passage ne devrait donc pas être retiré jusqu'à cette date. En cas de retrait à partir de l'âge du versement anticipé de l'AVS, la protection de la prévoyance peut être maintenue. Un versement est alors possible. Il y a lieu de renoncer au remboursement pour cause de situation favorable/apport de fortune afin de protéger la prévoyance vieillesse et invalidité.
Lien : Notice CSIAS « Prévoyance vieillesse. L’aide sociale et la gestion des prestations de libre passage », mise à jour en 2024 sous skos.ch/fr/publications/notices