Anne Lévy hat täglich neue Herausforderungen zu bewältigen. «Was gut und was falsch gelaufen ist, was man hätte besser machen können, werden wir nach Pandemieende abschliessend evaluieren und die entsprechenden Schlüsse daraus ziehen.»
Interview

« Nous devons réussir à éliminer ces inégalités. »

20.05.2021
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Anne Lévy doit actuellement assumer l’une de ses tâches les plus difficiles. En tant que directrice de l’Office fédéral de la santé publique, elle doit aider la population suisse à traverser la crise du coronavirus dans les meilleures conditions. Reste à savoir combien de temps durera la situation. Malgré les turbulences, elle est convaincue qu’au final, la pandémie offre également des opportunités : « L’expérience selon laquelle l’effort collectif permet de surmonter les crises est très précieuse à mes yeux », déclare-t-elle.

Madame Lévy, vous êtes à la tête de l’OFSP depuis plus de six mois lequel se retrouve en pleine tourmente depuis l’interminable crise du coronavirus. Qu’est-ce qui vous occupe le plus actuellement (fin avril) ?

Anne Lévy : Ce sont bien sûr les thèmes liés au Covid-19 qui m'occupent le plus en ce moment. La stratégie de vaccination, qui progresse bien, la stratégie de dépistage et le certificat Covid-19, sur lequel nous travaillons d'arrache-pied. Les possibilités concrètes d’utiliser ce certificat font encore l'objet de discussions politiques.

Comme se présente votre quotidien ? Trouvez-vous encore le temps de vous ressourcer ?

Les journées et les semaines sont longues. Mais je prends aussi le temps de lever le pied. Je fais des balades et essaie de respecter l'heure du dîner. Toutefois, ce n'est pas une situation que je souhaite vivre indéfiniment.

À votre avis, combien de temps cette période de crise durera-t-elle encore ?

Personne ne peut le prédire. Cela dépend aussi de la propension de la population à se faire vacciner. Si de nombreuses personnes acceptent de se faire vacciner, cette pandémie se terminera plus rapidement que si elles refusent de le faire. De grandes quantités de doses de vaccin arrivent continuellement. Même s'il y a eu un récent retard, ce qui est très regrettable pour les cantons et les personnes qui avaient pris rendez-vous pour se faire vacciner, nous sommes toujours sur la bonne voie. Les doses de vaccin ont été livrées quelques jours plus tard et d'autres livraisons arrivent régulièrement. Nous faisons donc de bons progrès en ce qui concerne les vaccinations.

Êtes-vous convaincue que la lutte contre la pandémie progresse bien et que les bonnes décisions ont été prises ?

Il est trop tôt pour tirer des conclusions. Nous vivons une situation extraordinaire. Cela signifie que des erreurs peuvent être commises. Nous en avons faites aussi. Notre niveau de connaissances augmente chaque jour. Cependant, il y a toujours de nouveaux défis, comme les mutations virales. À chaque fois, je pense que nous avons réussi à réagir rapidement. Une fois la pandémie terminée, nous évaluerons ce qui a bien et ce qui a mal fonctionné, ce qui aurait pu être fait mieux aussi. Nous en tirerons les conclusions appropriées. Dans l'ensemble, je reste cependant convaincue que nous sommes sur la bonne voie avec nos stratégies de vaccination et de dépistage. Nous verrons comment la situation évolue. Durant cette année de Covid-19, nous avons appris que de nouveaux événements peuvent impacter l’évolution de la pandémie chaque jour.

Néanmoins, en tant que directrice de l’OFSP et donc principale personne responsable de la lutte contre la pandémie, vous faites souvent l'objet de critiques – comme probablement tous vos collègues dans la plupart des pays. Outre l’attention médiatique, recevez-vous également de nombreuses réactions du grand public ?

Oui, nous recevons beaucoup de réactions, positives et négatives. Ce n'est pas surprenant, la pandémie de coronavirus nous concerne tous au final. Et nous vivons dans une démocratie où chacun doit pouvoir exprimer son opinion. Je reçois beaucoup de lettres et de courriels de personnes qui me remercient. Mais il y a bien sûr aussi celles qui sont énervées et nous critiquent. On a parfois l'impression qu’elles nous tiennent pour responsables de cette pandémie. Nous en avons tous assez de la crise du coronavirus et souhaitons retrouver une vie normale. Je peux parfaitement comprendre cette frustration.

Vous recevez donc surtout des réactions négatives ?

Cette impression est probablement renforcée par les médias sociaux, où le seuil d'inhibition est plus faible lorsqu’il s’agit d’exprimer des opinions négatives. Celles et ceux qui sont satisfaits et souhaitent nous remercier prennent le temps de nous écrire une lettre. Un cas exceptionnel, alors que les personnes mécontentes partagent chaque semaine leur frustration sur les médias sociaux.

Non seulement le virus, mais aussi l’impact de la crise se répercutent sur la santé de certaines personnes. L’OFSP connaît-il l’ampleur de ces effets, qui prennent notamment la forme de troubles mentaux ?

Nous avons examiné ce sujet en détail et observé les effets psychologiques de la situation actuelle au moyen de diverses études. Nous avons constaté que la crise n’affecte pas la population de la même manière et que celle-ci gère donc la situation parfois très différemment. Tout dépend de la situation de vie, c'est-à-dire des facteurs de stress tels que l'emploi précaire, la pauvreté ou la solitude. Les adolescents sont particulièrement touchés. Il a donc été décidé de rouvrir progressivement les activités pour les jeunes à partir d’avril, afin qu'ils puissent refaire du sport en groupe par exemple. Les universités ont également pu rouvrir leurs portes, du moins pour des événements jusqu’à 50 personnes. Les étudiants ont cependant perdu une année, ce qui est probablement moins important pour les personnes âgées que pour les jeunes. 

Il a donc toujours été évident que les mesures de protection représenteraient parfois un lourd fardeau pour la population, et qu’elles ne pourraient pas être maintenues plus longtemps ?

Dès le début, le Conseil fédéral s’est efforcé de trouver un équilibre entre santé, libertés individuelles et économie. Par conséquent, la population suisse a connu nettement moins de restrictions qu’à l'étranger. Nous n’avons pas instauré de couvre-feu et les gens pouvaient se retrouver à l’extérieur en petits groupes ou se promener, par exemple. Les écoles sont également ouvertes depuis juin 2020. En comparaison internationale, nous sommes donc l'un des rares pays dont les établissements scolaires n’ont que brièvement fermé. D’un point de vue épidémiologique, nous avons pris un certain risque, qui a maintenant été réduit grâce à l'introduction à large échelle de possibilités de dépistage dans les écoles. Je crois que pour les enfants, les jeunes et les familles, l’ouverture des écoles a été dans l’ensemble un facteur-clé.

Quels enseignements l’OFSP doit-il en tirer ?

Il est vraiment trop tôt pour tirer un bilan, mais les évaluations sont déjà en cours. Par principe, nous analysons tous les jours ce qui a bien ou mal fonctionné et ce qui doit être adapté. Tout l’art sera d’intégrer les expériences positives et les enseignements tirés de la pandémie. Mais la crise offre aussi des opportunités, comme par exemple l'impulsion qu’elle a donnée à la numérisation. Mais l'expérience selon laquelle l’effort collectif permet de surmonter les crises est également très précieuse à mes yeux. L’échange étroit avec les cantons et les autres partenaires est qualitatif et empreint de confiance. Si nous poursuivons sur cette voie après la pandémie, nous aurons fait un grand pas en avant. Nous y travaillons.

La santé et l’espérance de vie des personnes touchées par la pauvreté sont nettement plus mauvaises resp. inférieures. La pandémie exacerbe ces inégalités. Quelles sont les possibilités pour y remédier ?

L’élimination des inégalités est l'une des grandes priorités de la stratégie de la Confédération en matière de politique de la santé

« Santé2030 » et c'est aussi l'une des miennes. J’estime que cette inégalité au niveau de la santé et de l'espérance de vie ne devrait pas exister dans un pays comme la Suisse. Avec la stratégie de santé, nous nous sommes fixé pour objectif de fortement réduire cette inégalité – même s'il sera probablement impossible de l'éliminer complètement.

Quelles mesures comptez-vous prendre pour atteindre cet objectif ?  

Il est ici question de prévention dans le domaine de la nutrition et de la dépendance, mais aussi de pollution due aux particules fines. Et nous comptons aussi faciliter l'accès aux services de santé.

En ce qui concerne la maladie du coronavirus, il s’avère que les personnes vivant dans la précarité sont moins susceptibles de se faire dépister ou de faire appel à une aide médicale. Ce thème fait-il partie de vos priorités ?

Dès le début de la lutte contre la pandémie, nous nous sommes efforcés d'atteindre tous les groupes de population. Les principales informations sont traduites dans jusqu'à 24 langues différentes. Quant à la vaccination, atteindre les personnes socialement défavorisées est également un défi. Les enquêtes montrent que les couches les plus pauvres de la population ont une attitude plus critique à l’égard de la vaccination. Afin de toucher toutes les couches de la population, nous dépendons donc aussi d’organisations partenaires qui sont en contact avec ces personnes. Je pense que la vaccination, ainsi que les tests de dépistage et les règles d'hygiène constituent le moyen le plus efficace de se protéger contre les maladies. À cela s’ajoute la distribution des autotests gratuits qui représente aussi un élément important. Avec ces mesures, nous essayons d'atteindre tous les groupes de population de différentes manières.

Comptez-vous notamment sur la collaboration des services sociaux ?

Nous sommes toujours heureux de recevoir des conseils et idées sur la façon d’atteindre les personnes touchées par la pauvreté. Mais nous travaillons également en étroite collaboration avec les cantons pour aller dans les entreprises, c'est-à-dire là où les gens travaillent, et proposer des vaccinations sur place. Je pourrais aussi imaginer que certaines unités mobiles se rendent dans certains endroits pour vacciner les personnes parfois inatteignables. 

Les cantons sont tenus d'accorder des réductions de primes aux assurés de condition économique modeste. Dans son monitoring bisannuel, la CSIAS constate que l'aide sociale doit supporter des coûts considérables liés aux primes LAMal parce que le montant de la réduction des primes fixé par les cantons est trop bas. L’OFSP est-il conscient de ce problème ?

Nous sommes conscients que les primes représentent une charge importante pour les ménages. L'initiative sur l'allègement des primes déposée l'année dernière exige de consacrer au maximum 10 % du revenu aux primes d'assurance-maladie. Le Conseil fédéral estime que l'initiative se concentre uniquement sur le financement des subsides et ne tient pas compte de la maîtrise des coûts de la santé. Le contre-projet indirect à l'initiative prévoit désormais que la contribution des cantons à la réduction des primes soit liée à leurs coûts de la santé bruts. Nous espérons que cette démarche permettra de clarifier la situation et de conférer un caractère contraignant à la réduction des primes.

Une étude commandée par l'OFSP sur la santé des bénéficiaires de l’aide sociale est actuellement en cours. Y a-t-il de premiers résultats ?

Les résultats de cette étude ne seront pas disponibles avant août. Nous attendons des informations représentatives et plus précises sur l'état de santé des bénéficiaires de l'aide sociale dans toute la Suisse. Notre objectif est également de comprendre comment les bénéficiaires de l'aide sociale recourent aux prestations de soins. S'ils se passent de certains services ou s'ils n'y ont pas accès. Autre sujet d’actualité : le fait qu’une mauvaise santé constitue un obstacle à l'intégration professionnelle.

D'autres études, moins complètes, nous apprennent que la santé physique et mentale des bénéficiaires de l'aide sociale est moins bonne que celle du reste de la population. La pauvreté va souvent de pair avec les problèmes de santé et les possibilités limitées de prendre soin de sa propre santé.

Le système de santé et le système social travaillent encore trop souvent séparément. Selon la CSIAS, les synergies sont trop peu exploitées. Le bureau Vatter a publié un rapport à ce sujet l’année dernière. Qu'est-ce qui pourrait être amélioré ?

L'étude montre qu'une collaboration renforcée entre les assurances sociales et les professionnels de la santé pourrait améliorer la prise en charge. Dans le cadre de mes précédentes fonctions à la direction des cliniques psychiatriques universitaires (UPK) de Bâle, nous avons réussi à faire venir l'office AI cantonal sur le campus de l'UPK. Il s'est avéré très judicieux que les patientes et patients puissent – s'ils le souhaitaient – préparer leur retour au travail en cours de traitement avec l'aide de l'office AI. Dès le départ, la réunion de ces deux éléments a clairement été une bonne approche. Elle représentait un réel avantage à la fois du point de vue des assurances sociales et de la santé. Le fait de ne pas avoir de travail représente en effet aussi un énorme risque pour la santé.

Voyez-vous d’éventuelles améliorations à apporter au niveau des services sociaux ?

Ce n'est pas à nous de leur donner des conseils. Mais j'espère que cette étude et d'autres fourniront une précieuse base aux cantons et aux organes concernés et les rendront attentifs à la nécessité d'agir. En matière de prévention, le plus tôt sera le mieux.

En ce moment, vous vous concentrez surtout sur les questions liées à la gestion de la pandémie de coronavirus. Avez-vous dû laisser d’autres projets en suspens ?

Nous avons malheureusement dû déprioriser et repousser certains projets.

Quels objectifs personnels souhaitez-vous atteindre au sein de l’OFSP ?

La stratégie Santé 2030 est fondamentale pour moi. Elle existait déjà lorsque j'ai pris mes fonctions à l'automne dernier. Nous devrons certainement encore analyser les enseignements de la pandémie et adapter la stratégie si nécessaire. Le thème de la numérisation est central à mes yeux. L'OFSP, ainsi que l'ensemble du système de santé présentent une numérisation insuffisante. Nous devons nous attaquer à ce problème, même si la tâche est titanesque. Mais nous ne sommes pas seuls. Les systèmes de santé du monde entier tendent à être quelque peu à la traîne en matière de numérisation. J’accorde aussi une grande importance à l'accès au système de santé pour tous. Nous devons réussir à éliminer ces inégalités. L'enjeu principal sera d'améliorer les compétences en santé de la population. J'aimerais aussi me concentrer davantage sur la prévention des maladies non transmissibles, c'est-à-dire le tabac, l'alcool, la mauvaise alimentation et le manque d'exercice. Il est surtout nécessaire d'agir au sein des couches de la population touchées par la pauvreté. Un autre thème-clé est l'approche One Health, qui considère la santé sous l’angle holistique et en interaction avec les animaux, les humains et l'environnement. La pollution due aux particules fines est par exemple un problème environnemental, mais qui affecte la santé humaine. Ou prenez le problème de la résistance aux antibiotiques. Cela ne sert à rien de vouloir mieux contrôler l'utilisation des antibiotiques chez l'homme sans appliquer la démarche simultanément au secteur de l’élevage. De plus, les eaux souterraines et l'eau potable ramènent les antibiotiques vers l'homme. Nous avons déjà lancé une campagne d'information à ce sujet. Nous sommes bien entendu déjà en contact étroit avec d'autres offices fédéraux pour mettre en œuvre l'approche One Health.

Vous espérez donc pouvoir reprendre bientôt activement ces thématiques ?

Malgré la pandémie, nous ne sommes pas restés inactifs dans ces domaines. Un grand nombre de collaboratrices et collaborateurs de l'Office fédéral de la santé publique continuent de travailler sur ces autres sujets. Le virus devrait encore nous accompagner quelques années, il ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Mais je suis convaincue que la situation sera bien meilleure d'ici la fin de l'année et que nous pourrons à nouveau pleinement nous consacrer à d’autres sujets-clés.

Anne Lévy

Anne Lévy est à la tête de l'Office fédéral de la santé publique depuis le 1er octobre 2020.  Auparavant, elle a été directrice général des cliniques psychiatriques universitaires de Bâle pendant cinq ans. Anne Lévy  âgée de 49 ans, originaire de Berne et résidant à Bâle, a dirigé pendant six ans (2009-2015) la division de la protection de la santé du département de la santé de la ville de Bâle. Après des études de sciences politiques à l'Université de Lausanne, Anne Lévy a travaillé, entre autres, comme spécialiste des questions de drogue pour la ville de Berne et l’OFSP. Elle y a dirigé la section Alcool et tabac pendant cinq ans. Anne Lévy est titulaire d'un Executive MBA en gestion des organisations à but non lucratif de l'Université de Fribourg.

Interview réalisée par Ingrid Hess
Responsable de la rédaction