Le défi de la participation pour les professionnels de l’aide sociale
Lors de sa journée d’automne annuelle, l’Artias a voulu approfondir sa réflexion sur la participation des bénéficiaires de l’aide sociale. Cette fois-ci abordée sous l’angle du défi qu’elle représente pour les assistants sociaux.
Chaque année, l’Artias organise une journée d’automne destinée aux acteurs de l’action sociale. Elle a lieu au Musée Olympique de Lausanne et a pour objectif d’offrir aux professionnels un espace de formation, de réflexion et d’échange sur une thématique choisie. Avec la journée du 24 novembre 2022, qui s’intitulait « Les professionnels de l’aide sociale face au défi de la participation des bénéficiaires », l’Artias a voulu approfondir sa réflexion sur la participation individuelle et collective des bénéficiaires de l’aide sociale à la définition de leurs besoins et des politiques et pratiques qui les concernent. Après avoir réalisé, de 2018 à 2021, un projet participatif visant à faire émerger la parole collective d’une soixantaine de bénéficiaires romands (Zeso 2/2020), nous voulions explorer les possibilités et les défis soulevés par cette question sous l’angle des professionnels. Car ce sont eux et elles qui sont appelés à mettre en œuvre cette perspective participative dans leur travail quotidien.
Aller vers une démarche participative implique nécessairement de remettre en question une certaine hiérarchie rigide des savoirs, selon laquelle l’expertise académique ou technocratique domine tandis que les autres sources de connaissances doivent se contenter du statut de « témoignage ». La démarche de l’Artias était d’aller vers un dialogue des différents savoirs – académiques, professionnels et expérientiels. Ainsi, l’objectif était, après avoir donné la parole aux bénéficiaires lors de la journée d’automne 2019, d’entendre le point de vue de la recherche mais aussi des professionnels eux-mêmes. Ces derniers ont donc occupé une place importante parmi les intervenants. Ils ont partagé leurs expériences participatives tout en portant un regard critique sur celles-ci, en soulignant également leurs échecs, leurs questionnements.
La participation, pourquoi ? Comment ?
Emilie Rosenstein, professeure à la Haute école de travail social et de la santé de Lausanne, a assuré la conférence introductive de la journée, en apportant un cadre théoriques permettant de réfléchir aux questions : la participation, pourquoi ? La participation, comment ? Elle a notamment mis en garde contre le fait de réduire la participation à une question de procédure. En réalité, la participation est à la fois une méthode et un contenu, un moyen et une fin. Elle confère à celui qui participe un statut et est intrinsèquement liée à la question de la citoyenneté et de la démocratie.
Lors de la table-ronde, en deuxième partie de la journée, Delphine Binder, assistante sociale et responsable d’unité à l’Hospice général, a présenté un projet pilote mené au CAS des Trois-Chênes visant à redonner aux bénéficiaires davantage de maîtrise sur leur vie, cela en diminuant le contrôle au profit de l’accompagnement. Elle a évoqué les difficultés liées au changement de posture des AS. Passer du contrôle à la confiance, mais aussi éviter les jugements de valeur face à la manière dont le bénéficiaire décide, par exemple, de gérer son argent (reçu dans le cadre de ce projet sous forme de forfait), cela n’a a pas toujours été évident et a donné lieu à de nombreuses discussions au sein de son équipe. Christelle Isler, assistante sociale et directrice de CORA, a décrit comment la participation se vivait au quotidien dans son association, active dans l’information sociale et l’organisation d’activités collective au Val-de-Travers (NE). Les outils utilisés pour garantir une relation aussi horizontale que possibles sont, par exemple, le tutoiement entre tous les acteurs, la non-différenciation entre les bénévoles et les bénéficiaires (tous nommés « bénévoles »), l’absence de contrainte dans l’accompagnement social ou encore le fait de soutenir les propositions venant des bénévoles eux-mêmes plutôt que d’imposer des projets conçus par « en haut ».
Annina Grob, secrétaire générale d’Avenir social, a insisté sur le fait que si la participation est un pilier du travail social, la réalisation de celle-ci nécessite des ressources ainsi qu’un cadre légal favorable. Quant à Sophie Guerry, professeure HES associée à la Haute école de travail social de Fribourg, elle a présenté les effets bénéfiques de la participation collective des bénéficiaires, tout en insistant sur l’importance de la formation des futurs travailleurs sociaux à cette approche.
Des projets de participation collective
L’après-midi a été consacré à la présentation de deux projets participatifs collectifs, l’un organisé directement dans un service social, l’autre organisé par un service social mais dans un cadre extérieur.
Le premier projet, « Ensemble-Gemeinsam » du Département des affaires sociales de la Ville de Bienne, a été présenté par l’assistante sociale Charlotte Jeanrenaud. Il consiste à réunir chaque année des groupes, composés d’assistants sociaux et de bénéficiaires de l’aide sociale, qui se rencontrent et discutent de questions liées à l’aide sociale. A la fin du processus, qui se répète chaque année, certaines idées sont reprises et appliquées. Ainsi, divers aménagements ont été réalisés à l’entrée du service social et l’information a été améliorée (création d’un guide, d’une section FAQ sur le site internet, etc.).
Le deuxième projet, présenté par Michaël Kohler, assistant social et responsable de secteur aux Services sociaux régionaux jurassiens (SSR), est celui d’action sociale de proximité dans la commune de Courtételle. Il s’agit pour les SSR de faire un « diagnostic social » de la commune afin lui permettre de développer son propre programme de prévention en matière d’intégration sociale. La méthodologie développée comporte une dimension participative. En effet, c’est sur la base d’un dialogue avec la population (dans son ensemble, pas uniquement avec les bénéficiaires de l’aide sociale) que s’effectue le diagnostic, par exemple à travers de « papotages publics », l’élaboration d’un sondage, l’organisation d’évènements « brise-glace » ou encore la mise sur pied d’un forum citoyen.
La participation, c’est possible mais…
Cette journée nous a confirmé l’importance de développer davantage la participation des bénéficiaires de prestations sociales. Notamment, une meilleure prise en compte de l’avis des bénéficiaires de l’aide sociale devrait être une priorité, pas uniquement pour améliorer les dispositifs, mais aussi pour des questions de dignité et de citoyenneté des personnes concernées. Les différents exemples présentés nous ont convaincu que cela est possible, même si les limites et les pièges existent. Le problème des ressources est par exemple une limite claire. En effet, la plupart du temps, les professionnels qui s’engagent dans un projet le font certes sur leur temps de travail, mais sans décharge de dossiers, donc en plus de leurs tâches habituelles.
Enfin, la question peut-être la plus fondamentale ne devrait pas être éludée : la participation telle qu’elle est mise en œuvre dans un contexte spécifique a-t-elle une visée adaptative ou émancipatrice ? Vise-t-elle à faire rentrer une certaine population « dans le moule » ou, au contraire, est-elle réalisée dans un but sincère de démocratisation de l’institution ? C’est peut-être la première chose à laquelle chacun devrait réfléchir au moment de se lancer dans une telle démarche.
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