La gestion des loyers excessifs dans l'aide sociale
L'étude « HarmSoz » de la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse a examiné comment les services sociaux des cantons d'Argovie, de Schaffhouse, de Saint-Gall, de Thurgovie et de Zurich gèrent les loyers excessifs. À cette fin, une étude de cas a été soumise aux professionnels des services sociaux interrogés. L’analyse des réponses a révélé des différences significatives dans la gestion des loyers excessifs.
Le logement est un sujet d’actualité largement débattu dans l'aide sociale. Un logement adéquat est un facteur essentiel pour des aspects tels que l’état de santé, l'intégration sociale et le bien-être des bénéficiaires de l'aide sociale. Du côté des services sociaux et des autorités d’aide sociale, la limite de loyer, c'est-à-dire le montant maximal du loyer pris en charge par l'aide sociale, est centrale, car les frais de logement représentent une part substantielle des prestations d'aide sociale et la marge de manœuvre politique pour les fixer est relativement grande. En outre, les limites de loyer permettent d'influencer l'entrée ou la sortie de bénéficiaires de l'aide sociale. Le monitoring CSIAS 2021 a montré que dans les communes interrogées, le taux de bénéficiaires de l'aide sociale dont le loyer dépasse la limite fixée varie entre 2 et 50 %. Bien que le nombre de cas dont les frais de loyer excessifs sont partiellement ou totalement pris en charge par l'aide sociale ne soit pas clair, ces chiffres révèlent que certaines communes n’ont pas fixé la limite de loyer de manière adéquate ou ne l’ont pas adaptée depuis longtemps. Compte tenu de l'augmentation générale des charges locatives, ainsi que de la hausse des loyers nets, il est probable qu’il y ait actuellement encore davantage de bénéficiaires de l'aide sociale concernés par des loyers excessifs qu’il ne ressort du monitoring de la CSIAS. Dans ce contexte, la question se pose de savoir comment les services sociaux gèrent les loyers excessifs des bénéficiaires de l'aide sociale.
Cette problématique a fait l'objet d'un projet de recherche récemment achevé. Dans le cadre du projet « HarmSoz », une étude de cas qualitative, c'est-à-dire une description de cas d'environ une demi-page, a été soumise aux professionnels de 31 services sociaux des cantons d'Argovie, de Schaffhouse, de Saint-Gall, de Thurgovie et de Zurich. L'examen de chaque situation individuelle étant un élément central dans l'aide sociale, le recours à une étude de cas concrète permet d'étudier la marge d'appréciation pratiquée par les services sociaux. Les professionnels des services sociaux interrogés ont été invités, dans le cadre d'entretiens personnels, à calculer un budget d'aide sociale et à planifier l'aide personnelle. Les interviews ont eu lieu entre juin 2022 et mars 2023. Le cas fictif de « Lukas Riesen » est celui d'un homme de 58 ans qui vit depuis sa naissance dans la commune où il dépose à présent une demande d'aide sociale. Il y a quatre ans, il a perdu son emploi de représentant commercial au sein d’une assurance. Dans l’intervalle, il est arrivé en fin de droits et une demande auprès de l'assurance-invalidité est en cours. Le médecin traitant a diagnostiqué une dépression de gravité moyenne. Lukas Riesen dispose d'un avoir de libre passage de 300’000 francs et vit dans un appartement dont le loyer excède la limite de loyer de 400 francs.
Dans l'ensemble, la plupart des services sociaux estiment que le loyer excessif doit être pris en charge en totalité dans un premier temps, puisque Lukas Riesen ne touchait pas l'aide sociale auparavant. Par ailleurs, les services sociaux sont conscients qu’il ne peut pas payer à long terme le montant de 400 francs à partir de son forfait pour l’entretien. Les approches des services sociaux quant au loyer excessif peuvent être subdivisées en quatre types, décrits ci-après.
Prise en charge du loyer excessif à moyen terme
Certains services sociaux prennent en charge le loyer excessif de Lukas Riesen à moyen terme. Ils justifient en général cette décision par la procédure en cours dans l’AI. Étant donné que le bénéficiaire pourrait conserver son logement s'il percevait une rente d'invalidité et des prestations complémentaires, pour lesquelles les limites de loyer sont plus élevées, les services sociaux concernés jugent à l’heure actuelle un déménagement disproportionné. Certains services sociaux ne prennent en charge le loyer excessif qu’en présence d’un préavis favorable de l'AI ou de bonnes chances d'obtenir rapidement une décision de rente positive. Étant donné que les procédures AI durent souvent très longtemps, il est impossible de prévoir la durée de l’aide à octroyer. Dans d'autres communes, Lukas Riesen peut conserver son logement indépendamment de sa demande de rente AI, tant qu'il présente au service social un certificat médical excluant tout déménagement pour des raisons de santé. Lukas Riesen est alors explicitement informé de cette option. Dans une commune, il pourrait rester dans son appartement s'il accepte de rembourser la part du loyer excédant la limite à partir de l'avoir de vieillesse LPP qu'il doit retirer à l’âge de 60 ans sous forme de capital dans la commune concernée.
Prise en charge du loyer excessif jusqu'à la prochaine date de résiliation du bail
Tous les services sociaux ne tiennent pas compte de l'état de santé de Lukas Riesen lorsqu'il s'agit de gérer le loyer excessif. Dans les services sociaux du deuxième type, le loyer excessif est d’abord inclus dans le budget mensuel, mais le logement doit être résilié à la prochaine échéance possible. En d’autres termes, une recherche de logement infructueuse ne peut pas retarder le déménagement dans ces communes. Certains services sociaux agissent ainsi, sachant qu'il existe des logements abordables sur le marché local ou qu'ils peuvent loger les bénéficiaires de l'aide sociale dans des hébergements d'urgence ou des hôtels pour une location de longue durée. Dans le canton d'Argovie, où cette pratique est également courante, le tribunal administratif déclare à ce sujet : « Il ne peut être exigé des personnes vulnérables qui ont à supporter des frais de loyer excessifs de résilier leur logement ‹ à l’aveugle › » (WBE.2022.218). Les services sociaux devraient obliger les clients, à chercher un nouvel appartement afin de pouvoir trouver un logement de remplacement approprié.
Prise en charge du loyer excessif en présence d’efforts de recherche de logement
Les services sociaux du troisième type imposent la condition à Lukas Riesen de rechercher un logement. Dans ces communes, le logement de Lukas Riesen est pris en charge tant qu'il démontre que malgré les efforts déployés pour rechercher un logement, ceux-ci restent infructueux. En règle générale, ces services exigent des recherches de logement dans la région, c'est-à-dire au-delà de la commune de résidence. Un service social exige des efforts de recherche se limitant à la commune, puisque Lukas Riesen y réside depuis sa naissance.
Deux communes n’imposent pas la condition explicite de rechercher un logement. En l’absence de preuve de démarches de recherche de logement, ces communes adaptent néanmoins le loyer conformément à la limite de loyer prévue dans le budget. Tant que les recherches de logement restent infructueuses, la prise en charge du loyer excessif est prolongée. La justification de cette approche diverge dans les deux communes. L'assistante sociale de l'une des communes a déclaré savoir que cette procédure était erronée, mais qu’il s'agissait d'une pratique établie au sein du service social, qu'elle tentait actuellement de changer en concertation avec la direction. Le responsable du second service social a expliqué qu'il rejetait la procédure en deux étapes, car il serait ainsi facile pour les clientes et clients « compétents » de soumettre des démarches de recherche de logement infructueuses et donc de rester dans des logements trop coûteux.
Dès le premier jour, loyer fixé selon la limite de loyer recommandée
Dès le premier jour, une commune prend en charge le loyer de Lukas Riesen conformément à la limite de loyer fixée par l'autorité d’aide sociale. Le bénéficiaire doit donc payer lui-même 400 francs à partir de son forfait pour l’entretien dès son admission à l'aide sociale, ce qui le place bien en dessous du minimum vital social. Une variation de ce principe a été observée dans une autre commune. Celle-ci examine s'il existe un contrat de bail antérieur à la perception de l’aide sociale dont le montant était déjà trop élevé au regard des revenus et de la fortune de la personne concernée. Dans ce cas, le service social ne prend en charge que le loyer en vigueur conformément à la directive sur la limite des loyers.
Mesures à entreprendre dans les communes
L'augmentation des loyers et des charges locatives nécessite une prise de mesures par les communes. Face à la hausse des frais de logement, il est essentiel de savoir comment les services sociaux gèrent les loyers excessifs des bénéficiaires de l'aide sociale. Selon les normes CSIAS, des aspects tels que l’attachement à un lieu donné, l'intégration sociale, l'âge ou l’état de santé doivent être pris en compte lors de l'examen de la situation au cas par cas (C.4.1). L'étude a montré que certains services sociaux se basent systématiquement sur ces normes, tandis que d’autres s’en écartent.
Il est difficile d’imaginer comment les services sociaux pourraient réaliser en si peu de temps l'examen au cas par cas stipulé par la CSIAS, de sorte à justifier une résiliation du contrat de bail pour la prochaine échéance possible. De plus, l'invitation à résilier le logement « à l’aveugle » place Lukas Riesen face à un avenir incertain. Mis à part ce constat, le déménagement de Luka Riesen implique une perte des éventuels contacts de voisinage et de l'intégration sociale dans le quartier, ceux-ci devant être reconstruits ailleurs. En ce qui concerne le loyer excessif, certains services appliquent un schéma fixe et déclarent que la prise en charge n'est en aucun cas possible, indépendamment de la situation individuelle. Si le loyer excédant la limite à hauteur de 400 francs n'est pas pris en charge, Luka Rieser fait face à une réduction du forfait pour l’entretien d'environ 40 %, ce qui va au-delà de la réduction maximale de la prestation prévue par les normes CSIAS en cas de sanction.
Projet Harmsoz
Le projet « Comparaison des prestations d'aide sociale en Suisse » (HarmSoz) a été réalisé d'avril 2022 à octobre 2023. L'étude a profité du soutien financier de la Société suisse d'utilité publique, de la Fondation Ernst Göhner, ainsi que d’AvenirSocial, l'association professionnelle suisse du travail social. Un article sur le thème du versement anticipé de l’avoir de libre passage dans l'aide sociale a déjà été publié dans la ZESO. Le rapport final de l'étude (en allemand) est paru début novembre 2023 et peut être consulté sous le lien suivant : go.fhnw.ch/f2sm5p.