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Genève prend le problème du surendettement à bras-le-corps

02.09.2024
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En 2023, une large majorité politique a adopté à Genève la loi sur la prévention et la lutte contre le surendettement (LPLS). La loi vise à prévenir ce phénomène et à le combattre de manière efficace et coordonnée.

43 % de la population suisse vivait dans un ménage avec au moins un type de dettes en 2020 selon l’Office fédéral de la statistique, et 15 % avaient au moins un arriéré de paiement. La même année, Dettes Conseils Suisse relevait que 73 % des créances des personnes consultant un service de désendettement étaient des créances fiscales. En 2024, à Genève, le taux de débiteur, qui prend en compte tous les particuliers faisant l'objet de poursuites à partir de la réquisition de continuation, est de 8,7 %. Dans certaines communes genevoises, comme en ville de Genève ou à Vernier, il atteint plus de 10 %.

Le surendettement a des conséquences importantes : sur la santé, les dettes engendrant du stress et de l'angoisse et freinant la consultation d'un médecin, sur l'emploi, les poursuites représentant un risque de licenciement et une entrave à l'embauche, sur le logement, les arriérés de loyer pouvant mener à l'expulsion et les poursuites freinant l'accès au logement, sur l'aide sociale, le risque de saisie de salaire coupant l'envie de quitter l'aide sociale et de retrouver une solvabilité, et finalement sur les finances publiques, les factures d'impôts étant les premières à ne pas être honorées et les primes d'assurance maladie impayées étant couvertes à 85 % par l'État. De manière plus générale, les dettes empêchent souvent de se projeter dans l'avenir, de faire des projets et de s'engager dans une vie sentimentale et sociale.

Toutes ces conséquences du surendettement ont un coût pour l'État. Le canton de Genève l'a bien compris. Sa volonté est de permettre la mise en place d'une politique ambitieuse pour enrayer le surendettement, et de faire travailler ensemble les différents départements étatiques autour de cette problématique. En effet, le surendettement est une question complexe à la croisée de plusieurs politiques publiques concernant le social, les finances, l'emploi, l'instruction publique, le logement et la santé.

La LPLS s'articule autour de quatre axes : l'identification des causes structurelles du surendettement, la prévention et la sensibilisation, la détection précoce et le conseil et soutien à l'assainissement de la situation financière et au désendettement.

L’identification des causes structurelles

Le premier axe, l'identification des causes structurelles du surendettement, se concrétisera par la constitution ces prochaines semaines d'une plateforme, composée d'acteurs du terrain et de services étatiques, qui aura pour rôle d'observer l'évolution du surendettement à Genève, en commandant éventuellement des études pour le mesurer, d'identifier ce qui mène au surendettement, de faire des propositions concrètes pour prévenir et lutter contre le surendettement, et de veiller à la bonne mise en œuvre de la loi. Des réflexions sont déjà en cours sur le rôle que peut jouer l'État et certaines de ses pratiques dans l'endettement des particuliers, notamment à travers les délais d'attente pour obtenir une décision, la complexité des démarches administratives, ou encore le manque de lisibilité de certains documents officiels envoyés. Cet axe repose sur la conviction que le surendettement n'est pas qu'une question de responsabilité individuelle, mais que le système joue également un rôle majeur.

La prévention et la sensibilisation 

Le deuxième axe, la prévention et la sensibilisation, insiste sur l'importance de coordonner les mesures de prévention existantes à Genève et d'en développer de nouvelles, notamment avec le département de l'instruction publique, à destination des jeunes adultes et des personnes mineures. Une collaboration est envisagée avec le service en charge des impôts afin de créer des modules de formation pour sensibiliser les jeunes à l'importance de gérer leur budget, de remplir leur déclaration fiscale, et de respecter leurs obligations administratives.

La détection précoce

Le troisième axe, la détection précoce, doit permettre d'identifier le plus rapidement possible les personnes à risque de surendettement ou fraîchement endettées. Le canton de Genève dispose déjà depuis de nombreuses années d'un système de bons distribués aux personnes ayant besoin de se faire aider pour leurs dettes. Ce bon leur permet de consulter un service spécialisé en désendettement et est distribué par des services de l'État, comme l'office cantonal de l'emploi ou l'administration fiscale. En 2023, 184 bons ont été donnés par 5 services et 82 % d'entre eux ont été utilisés. Par ailleurs, des séances de sensibilisation à la problématique du surendettement sont ponctuellement organisées pour les collaborateurs des différents services afin de donner les bons de la manière la plus pertinente possible. Néanmoins, le volume de bons distribués et le nombre de services étatiques impliqué pourraient être augmentés. L'objectif de la loi est de renforcer ce dispositif et de le repenser en collaboration avec différents acteurs dont les communes genevoises.

L'assainissement de la situation financière et le désendettement

Le quatrième axe, l'assainissement de la situation financière et le désendettement, prévoit un soutien financier aux services spécialisés en conseil en désendettement pour les prestations d'accompagnement à la gestion du budget et au désendettement qu'ils fournissent. Pour mettre en œuvre cet axe, il est également planifié de former tous les travailleur·euse·s sociaux·ales généralistes à l'accompagnement à la gestion du budget et au désendettement, notamment à travers le développement de modules de formation en ligne et à la carte. La création d'une boîte à outils pour les professionnel·le·s du social contenant des informations de base, divers documents, ainsi qu'une marche à suivre pour aider les personnes ayant des dettes est également envisagée. Ces mesures doivent permettre à tous les travailleur·euse·s sociaux·ales de prodiguer des conseils en matière de gestion financière, de budget et de dettes, et de faire un bout du travail de désendettement.

La nouvelle loi genevoise sur l'aide sociale et la lutte contre la précarité va dans le même sens en introduisant dans l'accompagnement social l'aide à la gestion de la situation financière et au désendettement. Une autre mesure importante favorisant l'assainissement de la situation financière et le désendettement des particuliers est la signature entre le canton de Genève et le Groupe Mutuel d'une convention autorisant le rachat des actes de défaut de biens de l'assurance-maladie.

Ces quatre axes vont être développés sur la base d'un plan de législature contenant des mesures concrètes proposées par la plateforme. Un règlement d'application a été adopté le 22 mai 2024 et contient des détails sur la composition de la plateforme, et les conditions et modalités de l'accompagnement individuel que devront proposer les services spécialisés en conseil en désendettement mandatés par l'État.

L'assouplissement des conditions de remise d'impôts

La loi prévoit encore l'assouplissement des conditions de remise d'impôts pour les personnes engagées dans un processus d'assainissement ou de désendettement. De premières demandes ont été faites sous ce nouveau régime, et une bonne collaboration se crée entre l'administration fiscale prenant les décisions et les services spécialisés en désendettement effectuant les demandes. L'abandon des créances non fiscales de l'État est aussi prévu par la LPLS afin de permettre aux personnes se mobilisant pour régler leurs dettes de trouver des solutions avec l'État.

Enfin, la LPLS définit clairement le rôle des communes dans la lutte contre le surendettement. Il est attendu de celles-ci qu'elles participent à la plateforme, qu'elles donnent de l'information sur la problématique et sur la politique développée par le canton de Genève, mais aussi qu'elles fassent de la détection précoce, et qu'elles contribuent à l'assainissement de la situation financière et au désendettement de leurs habitants à travers un accompagnement individuel.

Caroline Duriaux
Direction du pôle insertion canton de Genève