Garde d'enfants pendant la recherche d'emploi
L’accès aux garderies est réservé prioritairement aux parents qui travaillent. Toutefois pour trouver un emploi, une place de garde est nécessaire. Face à cette problématique, le Canton de Vaud avec le soutien de la Ville de Lausanne et du Centre vaudois d’aide à la jeunesse propose des places en garderie pour des enfants de bénéficiaires de l’aide sociale. Outre les résultats positifs attendus en matière d’insertion socioprofessionnelle, l’intégration d’un enfant dans une garderie apporte des bénéfices à l’enfant et à sa famille.
Depuis une vingtaine d’années, le Canton de Vaud priorise le développement d’une politique d’insertion des personnes à l’aide sociale. L’objectif est qu’elles puissent construire un projet professionnel, trouver un emploi durable et s’émanciper ainsi du soutien financier de l’État. Ces mesures socioprofessionnelles ont fait leurs preuves ; le taux de placement s’élève à 57 % en 2023. Néanmoins, la participation des familles avec de jeunes enfants à ces mesures devient difficile lorsqu’il faut trouver une solution de garde. En effet, les places sont disponibles prioritairement pour les familles dont les parents travaillent et sont insuffisantes dans plusieurs régions du canton.
Le projet IPE de Marterey
De ce constat est né en 2016 le projet de la garderie « Institution pour l’enfance de Marterey » (IPE) à Lausanne. Profitant de l’ouverture d’une nouvelle structure, le service d’accueil de jour de la Ville de Lausanne et la Direction générale de la cohésion sociale du Canton de Vaud ont pu monter un projet-pilote permettant d’y réserver des places pour les enfants de bénéficiaires de l’aide sociale. Le modèle de partenariat proposé s’apparente à celui déjà à l’œuvre avec des entreprises ou des administrations publiques dans d’autres garderies de la ville. Ainsi, pour les habitants de la commune, les places sont financées conjointement par le Canton et la Commune de Lausanne. La structure accepte également des personnes n’habitant pas la commune de Lausanne. Dans ce cas, la place est entièrement subventionnée par le canton.
Actuellement, sur les 41 places, 15 sont réservées pour les enfants de bénéficiaires de l’aide sociale participant à une mesure d’insertion. Les autres places sont ouvertes à des enfants du quartier ainsi que des enfants d’employés de deux entreprises situées à proximité. L’aspect de mixité sociale constitue un élément central dans ce projet.
L’accueil de ces enfants nécessite une flexibilité et une adaptation de la structure par rapport aux procédures habituelles. Les entrées en mesures socioprofessionnelles peuvent se faire de manière continue. Il se peut aussi que la fréquentation change au cours des mois. Il s’agit enfin de garantir une rotation des places mises à disposition des bénéficiaires de l’aide sociale : lorsque ces derniers décrochent un apprentissage ou un emploi, ils remplissent les critères d’accès à une place d’accueil conventionnelle. Ainsi, la directrice de l’IPE de Marterey soutient la famille concernée et mobilise le réseau afin de replacer l’enfant dans une garderie de son quartier. Comme l’enfant et sa famille ont déjà pu expérimenter le fonctionnement d’une structure d’accueil collective, l’intégration dans une nouvelle garderie se fait en général de manière fluide.
Des effets bénéfiques pour les parents et les enfants
Au-delà de rendre possible l’insertion professionnelle, ces places de gardes ont un impact sur les bénéficiaires et leur rôle en tant que parents. Les professionnels de l’IPE sont sensibilisés aux difficultés de ces familles et ont développé des compétences pour les accompagner au quotidien. En premier lieu, l’accompagnement se fait au moment de la séparation, lorsque la garde commence. Ce moment s’avère sensible, notamment pour des familles isolées, sans environnement familial, ni réseau social en Suisse. L’entrée à l’IPE constitue souvent la première séparation entre l’enfant et les parents.
L’accompagnement peut aussi porter sur un soutien particulier à la parentalité. Les familles peuvent être orientées vers des ressources sociales ou thérapeutiques spécifiques. L’intégration en garderie permet ainsi de mettre en place des ressources et un réseau autour de la famille dont les parents pourront profiter durablement. Enfin, au travers des activités de la garderie, les parents et les enfants peuvent rencontrer d’autres familles, créer de nouveaux liens sociaux et découvrir des offres culturelles.
De nouvelles interactions sociales
Les aspects positifs sont aussi notables pour les enfants. Ils développent de nouvelles interactions sociales et apprennent les règles de vie qui seront essentielles pour leur intégration à l’école. Les jeux pédagogiques permettent un développement du langage et pour certains accélèrent l’apprentissage du français. Enfin, le placement de ces enfants permet aussi de porter un regard extérieur sur leur développement et mener conjointement des actions préventives que ce soit sur des aspects éducatifs ou sanitaires. La détection précoce de situations possiblement problématiques permet également de mettre en place rapidement les relais et dans certains cas d’éviter une péjoration de situation, par exemple dans des situations de retard de développement.
En conclusion, le projet IPE de Marterey permet de répondre à un double objectif ; d’abord faciliter l’insertion socioprofessionnelle des parents à l’aide sociale et ensuite permettre l’intégration des enfants et à travers eux, des familles. Dans un contexte de saturation des places de garde, l’insertion se révèle difficile, alors même que le marché du travail est en recherche de main-d’œuvre et que les opportunités d’emploi sont nombreuses. Un premier bilan effectué pour la période de 2016 à 2019 a mis en exergue que 50 % des familles qui ont bénéficié de ces places de garderie sont sorties de l’aide sociale. De plus, 60 % des enfants ont pu être replacés dans d’autres structures.
Le canton poursuit ses efforts afin de répliquer le projet IPE de Marterey au sein d’autres réseaux d’accueil de jour du canton. Ainsi, un autre projet a vu le jour en 2022 à Renens et un autre démarrera en 2024 à Payerne. Certaines mesures d’insertion sociale ont également commencé à se doter de halte-garderie permettant ainsi aux parents de faire garder leurs enfants sur le lieu de la mesure. Ces différents projets sont encore loin de couvrir les besoins. Néanmoins, pour les familles qui ont pu en profiter, l’investissement est très satisfaisant. Il permet d’accroître les chances d’une sortie durable de l’aide sociale. Par ailleurs, les appuis qui peuvent être mis en place autour de la famille permettent de prévenir des difficultés à moyen ou long terme, épargnant ainsi à l’État la mise en œuvre de moyens importants de suivi.
Vignette Mila
En juillet 2021, nous avons reçu l’inscription de Mila* pour une place MIS Lausanne. Elle a commencé son adaptation à l’IPE de Marterey le mois suivant. À l’époque, sa maman avait 23 ans et elle suivait une mesure à OSEO Vaud (Coaching +). Elle nous a exprimé son besoin d’être accompagnée dans sa vie de jeune femme et dans son positionnement par rapport au papa de l’enfant qui à l’époque était peu présent dans la vie de Mila. Âgée de 21 mois, l’enfant a été placé dans le groupe des trotteurs avec une fréquentation de deux jours et demi, ce qui a permis à la maman de se rendre aux entretiens et de débuter les mesures pour son insertion. Par la suite, Mila a fréquenté l’IPE de Marterey tous les jours.
Mila était une enfant pleine d’énergie, très curieuse et enthousiaste. Nous avons accompagné cette famille dans les périodes plus difficiles, en gardant un lien avec la maman et en faisant régulièrement des entretiens afin de comprendre les besoins.
Nous avons soutenu la maman dans la recherche d’un pédiatre attitré car l’enfant était suivi à l’hôpital. En observant le comportement de Mila, nous avons aussi prêté des ouvrages enfantins de la bibliothèque de l’IPE de Marterey qui abordaient des thématiques comme la séparation, les émotions ou l’alimentation. En plus, nous avons pu participer à la mise en place d’une médiation pour les parents en collaboration avec l’assistante sociale en charge du dossier.
À la fin de la collaboration avec cette famille, la relation entre les deux parents était délicate mais Mila voyait régulièrement son papa. Durant l’année et demie de sa présence à l’IPE, la maman a pu trouver un appartement dans le quartier où elle a grandi et a trouvé une place d’apprentissage comme coiffeuse. L’enfant a rejoint une garderie du quartier pour ensuite commencer l’école.
*Prénom d’emprunt