Campagne de lutte contre le non-recours aux prestations sociales dans le Canton du Jura
En mai et juin 2024, le Canton du Jura a mené une campagne de lutte contre le non-recours aux prestations sociales. Le premier bilan à l’issue de la campagne est positif : cette dernière a permis de thématiser les questions de précarité et a trouvé un large écho auprès de la population. Les demandes issues de personnes non-recourantes ont été nombreuses et le dispositif d’aide très apprécié. Les suites du projet sont en phase de réflexion notamment au niveau politique.
Organisée avec le soutien des partenaires du domaine social, la campagne visait à sensibiliser les Jurassiennes et les Jurassiens aux questions de précarité tout en aidant les personnes non-recourantes à accéder aux prestations auxquelles elles ont droit. Le nouveau site internet JU-lien.org et le dispositif d’aide ont été promus à travers différents médias (radio ; affichage ; …) et une large distribution de flyers.
Contexte
Ces dernières années, on a constaté en Suisse que la thématique du non-recours gagnait en importance et que les projets se multipliaient en vue d’aider les citoyens à s’orienter dans le domaine complexe des aides sociales : « Fribourg pour tous », projets-pilotes « Vaud pour vous », Bureau d’information sociale à Genève, etc.
Dans le Jura, une motion parlementaire déposée en 2021 a considèré qu’il manquait un « interlocuteur principal qui puisse apporter des réponses […] et orienter la personne vers la ou les prestations sociales adéquates » et demandait « la mise en place de guichets uniques sociaux dans le canton du Jura », à l’exemple de ceux qui existent déjà dans le canton de Neuchâtel.
Le deuxième rapport social jurassien publié en mai 2022 a fait le constat qu’environ 10 000 Jurassiens sont en situation de pauvreté (près de 15% de la population) alors que seule une moitié de ceux-ci bénéficie de prestations sociales (aide sociale, prestations complémentaires ou autres). Le rapport se focalisait ainsi sur la présence possible de nombreux « non-recourants » et propose plusieurs mesures pour améliorer l’information et l’accessibilité des prestations sociales dans le canton.
La campagne de mai-juin 2024
Dans ce contexte, le Jura a décidé de lancer une première expérience-test en collaboration étroite avec les partenaires du domaine social (institutions et associations actives dans le domaine social, crèches, communes, paroisses, cabinets médicaux, etc.). La campagne « JU-lien.org » s’est déroulée du 2 mai au 16 juin 2024 avec une campagne d’affichage et une large distribution de flyers attirant l’attention du public sur l’existence de situations de précarité, avec des slogans tels que :
- « Julia est dépassée par les soucis d’argent »
- « Julien n’arrive plus à joindre les deux bouts »
Les visuels, munis de QR-codes, invitaient le lecteur et la lectrice à se rendre sur le site JU-lien.org qui proposait deux facettes :
Une première facette « Aider son entourage » permettait à chacun de s’informer sur le dispositif social jurassien et de contribuer à faire connaître le site auprès de son entourage.
La seconde facette principale « Accueil » se promettait d’informer, d’orienter les personnes non-recourantes tout en leur garantissant une aide spécialisée sur demande très simple par formulaire en ligne ou par SMS.
Sept assistantes sociales expérimentées ont été engagées à un taux d’activité partiel pour rappeler les demandeurs dans un délai de trois jours au maximum.
Le dispositif d’aide
Les éléments-clés de ce dispositif étaient les suivants :
- Un nom facile à retenir : JU pour Jura, lien pour évoquer l’idée d’aller à la rencontre des personnes qui n’ont pas encore trouvé le chemin d’une aide financière.
- La garantie de confidentialité des entretiens (les demandes pouvaient être déposées via pseudo), rendue visible également par l’extension .org.
- Un seuil d’accès bas et un renversement des difficultés d’horaires et de lieu : le demandeur n’avait à envoyer que son numéro de téléphone et son pseudonyme. Ce sont les assistantes sociales qui ont dû ensuite s’adapter aux disponibilités horaires du demandeur, appelant y compris le soir ou le samedi et se déplaçant au lieu choisi par le demandeur. Le dispositif s’adaptait au demandeur, non l’inverse !
- Le dispositif se concentrait strictement sur les aides financières, l’idée étant de voir si les demandes montraient un intérêt pour un élargissement thématique à futur.
Ainsi durant 6 semaines, par simple SMS ou demande électronique, toute personne en quête d’information a pu être rappelée par une assistante sociale en se voyant offrir gratuitement un entretien confidentiel, une consultation physique voire une aide concrète pour les premières démarches administratives, ceci pour un total de trois heures au maximum.
Premiers éléments de bilan
L’objectif de sensibilisation a été largement atteint, de même que la lutte contre le non-recours. On peut même parler de succès : alors que le projet visait la réception de 100 demandes, ce sont au total plus de 140 demandes qui sont parvenues aux assistantes sociales.
Les personnes demandeuses ont très largement apprécié le dispositif et notamment sa réactivité, son accessibilité et sa garantie de confidentialité. Le réseau a également fait part de sa satisfaction à propos de la campagne en général et du système mis en place pour aller à la rencontre des personnes non-recourantes.
Pour leur part, les assistantes sociales ont beaucoup apprécié de pouvoir participer à cette action même s’il n’a pas forcément toujours été évident de se rendre disponible en dehors des heures habituelles de bureau ou en fin de semaine. Cette flexibilité était toutefois nécessaire et les personnes demandeuses ont été agréablement surprises qu’on ait véritablement essayé de les atteindre rapidement et qu’on n’ait pas abandonné parfois après de multiples tentatives de prises de contact. Ces mêmes personnes ont également trouvé rassurant d’avoir affaire à des professionnelles « neutres », qui n’étaient pas rattachées une institution particulière et de pouvoir parler de leur situation dans un cadre anonyme.
Perspectives
La campagne est terminée, la publicité en faveur du site JU-lien.org s’est arrêtée et l’afflux de demandes se stabilise à un niveau relativement faible, soit environ une demande par jour. Le site JU-lien.org est pour l’instant maintenu parce qu’il contient des informations durablement utiles et que le budget à disposition permet de prolonger le travail des assistantes sociales.
La question de la pérennisation du dispositif est actuellement en discussion au niveau politique. Du point de vue du réseau, le dispositif a montré son utilité et le test a contribué à dessiner les contours d’un futur « guichet social unique » tel que demandé dans la motion. La baisse de fréquentation constatée après mai-juin 2024 démontre également la pertinence d’une campagne de sensibilisation récurrente, peut-être centrée sur un thème à chaque fois différent mais qui permettrait de rappeler l’existence du dispositif JU-lien.org.