À Neuchâtel, des personnes à l’aide sociale créent leur association
Une association de personnes à l’aide sociale a vu le jour dans le canton de Neuchâtel. Sa mission est double : être un lieu d’échange pour les personnes confrontées à la précarité et défendre leurs droits. Rencontre avec Carolina Pillonel, présidente de l’Association Sociale POUR Neuch.
ZESO : L’Association Sociale POUR Neuch (ASPN) a officiellement vu le jour mercredi 15 décembre 2021. Cette date marque l’aboutissement d’un long travail de préparation dont vous, Carolina Pillonel, avez été l’un des moteurs. Pour commencer, pourriez-vous nous parler de votre parcours ?
Carolina Pillonel : Je suis employée de commerce de formation. Durant ma vie professionnelle, j’ai eu différents emplois – dans mon domaine mais aussi dans la vente ou le service. J’avais déjà été au chômage, mais j’avais toujours réussi à rebondir. Il faut dire que comme beaucoup de gens, j’avais extrêmement peur de « tomber » à l’aide sociale. Vers 2012-2013, j’ai été engagée dans le département « achat » d’une grande entreprise. Malheureusement, celle-ci a très rapidement décidé de faire des économies et, étant l’une des dernières arrivées, j’ai également été l’une des premières à partir. Je me suis donc retrouvée au chômage. Le temps passait et je ne trouvais toujours pas de travail. Au bout d’un certain temps, j’ai été placée dans une mesure. Cette situation a été très difficile pour moi car on me faisait faire un travail répétitif et abrutissant qui ne m’apportait rien et ne représentait aucune plus-value pour mon CV. Je n’en avais pas encore conscience, mais je pense que voir s’approcher la fin du chômage et l’arrivée à l’aide sociale m’angoissait terriblement.
Mon premier rendez-vous au service social a été extrêmement difficile pour moi, mais j’ai eu de la chance : mon assistant social était un humaniste et a su m’entendre. Très vite, j’ai été placée à l’Association neuchâteloise pour la Défense des Chômeurs (ADCN) dans le cadre d’un contrat d’insertion. C’est une atmosphère de travail qui m’a convenu. Petit à petit, je me suis énormément impliquée dans cette association et j’ai pris le temps de faire un travail d’introspection. J’ai compris que je n’aimais pas mon métier et que c’était l’une des raisons pour lesquelles je n’étais pas stable professionnellement. Cela m’a permis de renouer avec un rêve d’enfant en me lançant dans une nouvelle formation d’éducatrice sociale.
Comment avez-vous décidé de vous impliquer dans la création de l’ASPN ?
J’ai participé avec d’autres usagers de l’aide sociale à un projet-pilote participatif de l’Artias. Cette expérience a été riche en rencontres. Certains témoignages étaient très durs et m’interrogeaient. Petit à petit, avec les autres participants, nous nous sommes rendu compte que nous avions entre nous tous une somme extraordinaire de compétences. L’idée a alors émergé de créer notre propre association. La première association – « Construire demain » – a vu le jour dans le canton du Jura, puis nous avons décidé de faire quelque chose sur Neuchâtel.
J’ai toujours voulu construire quelque chose qui parte de la base et qui soit le plus égalitaire possible. Ce n’est pas si facile à concrétiser. Il est compliqué de faire participer de manière active des personnes qui sont depuis si longtemps en rupture socioprofessionnelle, même si l’envie est là et que ce projet est important pour elles. Cela demande beaucoup d’énergie, mais nous avons maintenu ce cap. Malgré les difficultés liées au COVID, nous avons pris le temps de nous rencontrer et de définir des objectifs. La rédaction des statuts a été longue et laborieuse. Nous nous réunissions le soir, parfois jusqu’à 22h30 en pleine semaine. Cela a renforcé nos liens et a permis à chaque personne d’être entendue, d’être considérée. Petit à petit, nous avons tous pris conscience que nous avions beaucoup à offrir. Finalement, nous avons pu tenir notre assemblée constitutive en fin d’année 2021 et la joie d’aboutir à ce résultat était palpable.
Quels sont les buts de l’association ?
Tout d’abord, nous tenons aux lettres « POUR » qui se trouvent dans notre nom et qui résument nos valeurs : Partages, Ouvertures, Unir et Réunir. Nous savons que souvent, nos assistants sociaux n’ont que très peu de temps à nous consacrer. Nous nous sommes dit : nous n’avons pas d’argent, mais du temps, nous en avons ! Nous voulons donc proposer un espace où les gens pourront rencontrer d’autres personnes qui ont vécu des expériences similaires. Ce sera plus facile de s’exprimer qu’au service social car nous sommes tous au même niveau, il n’y a pas de rapports de pouvoir entre nous. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle nous avons décidé de nous réunir dans un espace neutre plutôt que dans les locaux d’un GSR (guichet social régional).
En quoi le fait d’échanger avec des personnes qui connaissent aussi la précarité facilite les choses ?
On se sent beaucoup plus libre. Il ne faut pas oublier que les personnes à l’aide sociale souffrent de la stigmatisation et du jugement que la société porte sur elles. On ne peut pas tomber plus bas dans l’échelle sociale, c’est dur à vivre. Certains pensent que nous sommes à l’aide sociale parce que nous ne voulons pas travailler. La réalité, c’est que la plupart des personnes à l’aide sociale sont très actives. Elles ont envie de participer, en fonction de leurs moyens et de leurs capacités du moment. Chacun a besoin d’agir, de se sentir utile, de garder un lien social. Mais il y a un auto-isolement, les gens se cachent, finissent par avoir honte… J’essaie d’aller à contre-courant de ça ! En parlant de mon vécu sans en avoir honte. C’est important pour garder sa dignité.
Quelles activités allez-vous organiser ?
Pour le moment, nous faisons de la publicité et nous allons organiser une première permanence. Nous attendons avec impatience le retour des beaux jours pour pouvoir organiser des évènements à l’extérieur, comme des distributions de thé ou des repas pour nous faire connaître. La base de ce que nous faisons est la cocréation. Nous créons un espace où les gens peuvent venir poser leurs questions. Quand on arrive au service social, on est angoissé, on est en panique. On a un rendez-vous, il faut donner des papiers pour prouver qu’on n’a plus rien. Personne n’est préparé à cela. On est perdu, on se sent démuni, inutile. Si les personnes qui vivent cela se tournent vers notre association, peut-être qu’elles vivront mieux cette étape. Nous pourrons leur présenter les choses différemment, leur donner certains conseils ou des informations qu’elles n’ont pas osé demander à leur assistant social par gêne.
D’un autre côté, nous voulons aussi nous manifester en tant que collectif pour pouvoir dénoncer certaines absurdités auxquelles nous sommes confrontés en tant que citoyens à l’aide sociale. À terme, nous espérons pouvoir proposer une permanence juridique.
Comment vous positionnez-vous par rapport aux services sociaux ?
En tant qu’experts de nos situations, en tant que personnes à l’aide sociale, nous avons des solutions tirées de notre vécu à proposer, pour autant qu’on veuille nous entendre. S’il y a des discussions sur des changements de loi ou de pratiques, nous aimerions être consultés. Laisser la parole aux personnes concernées, c’est le seul moyen de comprendre leurs besoins. Nous voulons être des partenaires, collaborer et communiquer avec les services sociaux. J’en profite pour inviter les assistants sociaux à parler de nous à leurs usagers, car nous avons du temps à leur consacrer pour que cette expérience à l’aide sociale soit un peu plus douce pour eux.
Pour contacter l’Association Sociale POUR Neuch : aspneuch@gmail.com