À Genève, des hôtels accueillent des personnes sans-abri
D’une pierre deux coups : le canton de Genève a mis sur pied un projet d’hébergement des personnes sans solution de logement dans des hôtels dès l’hiver 2020. Une innovation qui a permis d’aider à la fois les personnes se trouvant dans une situation d’extrême précarité tout en soutenant économiquement un secteur hôtelier lourdement touché par la crise sanitaire. À ce jour, 818 personnes ont pu en bénéficier.
Pour bien comprendre ce concept novateur en Suisse, il faut revenir en octobre 2020. La pandémie de Covid-19 connaît sa deuxième vague, qui contraint les autorités à décider d'un nouvel arrêt des activités. Sur le front de l'urgence sociale, la crise sanitaire a déjà fait de gros dégâts et la situation de nombreuses personnes, déjà vulnérables avant le début de la pandémie, risque de se dégrader. Au mois de novembre, le Conseil d’État genevois transmet alors au Grand Conseil un projet de loi proposant un financement de 1,4 million de francs au Collectif d'associations pour l'urgence sociale (CausE), afin d'assurer une prise en charge hôtelière des personnes sans-abri durant la période hivernale.
Le CausE est depuis plusieurs années l'un des principaux acteurs associatifs engagés dans la problématique du sans-abrisme à Genève. Pour le canton, il est évident que ce collectif est le mieux à même de mettre en œuvre cette solution, qu'il faut mener de zéro. « Alors que de nouvelles mesures sanitaires avaient été annoncées au début du mois de novembre 2020, il était indispensable d'agir avant l'arrivée des grands froids », explique Thierry Apothéloz, conseiller d'État chargé du département genevois de la cohésion sociale. D'après le magistrat, l'exemple du premier semi-confinement décidé au printemps 2020 avait montré que les restrictions imposées avaient un fort impact tant sur l'économie qu'auprès des personnes les plus vulnérables aux changements économiques.
Un toit, des repas et un accompagnement social
Une première pour tout le monde, y compris pour les établissements hôteliers invités à participer à ce projet. Le CausE a rapidement obtenu l'intérêt d'établissements à accueillir des personnes sans-abri. Pour le Gouvernement genevois, c'était là l'autre point fort de cette mesure, dans un canton où l'hébergement d'urgence est alors traditionnellement une compétence des communes, et est assuré depuis de nombreuses années par la Ville de Genève. « À contexte extraordinaire, réponse extraordinaire, résume Thierry Apothéloz. Cette solution contribue à apporter un soutien financier concret au secteur de l'hôtellerie genevoise, qui a particulièrement souffert de la crise sanitaire. » Ce secteur a subi, à Genève, une perte de chiffre d'affaires atteignant dans certains cas près de 90 % pour l'année 2020.
De décembre 2020 à mai 2021, 541 personnes ont ainsi pu trouver un toit au sein d'hôtels. 30 familles ont aussi profité de cette prestation, qui comprend les repas journaliers. La gestion au quotidien est assurée par le CausE, directement sur place. La mécanique prend et les acteurs et actrices investi.e.s dans ce projet se félicitent des résultats. En parallèle, la situation sanitaire, et par conséquent économique et sociale, reste tendue. À tel point que le concept est reconduit pour la période du 1er juin au 31 octobre de cette année, grâce à un nouveau crédit de 1,4 million de francs demandé par le Conseil d'État et validé par le Parlement cantonal.
Si le projet fonctionne, c'est aussi parce qu'il prévoit depuis le début un accompagnement socioéducatif 24h sur 24h, à même d'assurer le suivi individuel nécessaire de cette population. D'autant qu'il a été démontré que son état de santé psychique pouvait se détériorer sous l'effet de la crise. Couvert par un financement privé (l'argent public a financé les nuitées), ce suivi permet d'envisager la réinsertion des personnes concernées.
« L'accompagnement social que nous proposons est essentiel, précise Aude Bumbacher, directrice du CausE. Pour la première fois, toutes les personnes sans-abri hébergées par le CausE bénéficient d'un soutien individuel pour tenter de sortir du cercle de la précarité. » À ce jour, près de 20 % des personnes ont retrouvé un logement stable après les trois mois de séjour.
Un cadre légal clarifié
La suite ? Le projet pourrait se poursuivre, mais cette fois via un financement communal. En effet, le canton de Genève a adopté le 3 septembre 2021 la première loi de son histoire sur l'aide aux personnes sans-abri (LAPSA). Un signal fort pour la dignité des personnes concernées, qui s'accompagne d'une clarification légale attendue des compétences entre le canton et les communes. Dorénavant, ces dernières détiennent la compétence exclusive de l'hébergement d'urgence et de la primo-orientation sociale, tandis que le canton continuera d'assurer les soins infirmiers prodigués aux personnes hébergées dans les lieux d'abri ainsi que les consultations ambulatoires mobiles. À l'initiative du projet de loi adopté, Thierry Apothéloz se félicite de voir inscrite la question du sans-abrisme « dans notre corpus législatif. Cette nouvelle loi donne clairement des droits aux personnes sans-abri et reconnaît par là même leur existence ».